L’Autorité de la concurrence avait lancé début février une consultation publique sur la situation concurrentielle du secteur de l’intelligence artificielle générative (« IA générative ») en France. Les parties prenantes avaient jusqu’au 22 mars pour transmettre leurs observations. La FNA en tant que représentante des entrepreneurs artisans de l’automobile, a sensibilisé l’Autorité sur les enjeux pour les entreprises de l’après-vente automobile, mais aussi sur ses dangers.
De quoi parle-t-on ?
L’IA générative reproduit la capacité cognitive humaine de manière globale et polyvalente. Elle est capable de créer seule sur la base de ses éléments de fondation, de nouveaux contenus à partir d’un large ensemble de données d’entrée et d’une grande puissance de calcul, souvent en utilisant des techniques telles que l’apprentissage profond et les réseaux de neurones. Ce sont des IA de fondation stratégique qui une fois construites, peuvent servir ensuite à des IA appliquées à des secteurs en particulier, comme celui de l’automobile.
Dans le secteur amont de l’automobile, l’IA générative puise notamment les informations sur les données des capteurs embarqués dans les véhicules. Elle joue un rôle essentiel, par exemple, dans les systèmes de conduite automatisée : les données, analysées par des algorithmes d’IA, permettent d’identifier un obstacle sur la route et sont alors utiles pour avertir le conducteur, voire pour mettre immédiatement en marche des actions de conduite, comme le freinage d’urgence et l’activation des feux de détresse.
L’utilisation et les risques de l’IA générative dans l’après-vente automobile
Dans les services de l’après-vente automobile, les réparateurs assurent sur le terrain des prestations de qualité de plus en plus techniques et complexes, conformément à leur obligation de résultat, et garantissent aux consommateurs de rouler en toute sécurité. L’IA classique est déjà présente dans les ateliers.
Sur le marché de la réparation collision, ses effets sur la concurrence entre les carrossiers et l’exercice même de la gestion d’un sinistre se fait particulièrement ressentir.
Les acteurs de la gestion des sinistres (assurances et experts automobiles missionnés par elles) ont mis en place des IA appliquées qui permettent de déterminer le coût de la réparation sur une zone déterminée. Les IA en question ont analysé les données chiffrées des sinistres automobiles ces dernières années. De manière opérationnelle, pour la FNA cela a eu pour conséquence une modification des contrats des assurés indemnisés selon « les meilleures conditions économiques locales » et pour les carrossiers, un durcissement des rapports avec les experts automobiles, lorsque ce dernier est missionné. Les éléments chiffrés propres à une réparation en carrosserie (taux horaire, prix des pièces, temps passé), sont présentés comme « une vérité ».
Or en pratique, les tarifs retenus par l’expert et de plus en plus seulement par l’assurance, sont inférieurs aux tarifs publics de l’entreprise. Deux issues défavorables en résultent pour les réparateurs concurrents de ceux que conventionne l’assureur :
- Soit le professionnel, dépasse le montant affiché par la nouvelle technologie et le surplus doit être pris en charge par l’assuré, ce qui peut entraîner un mécontentement de la part de ce dernier ;
- Soit le réparateur se plie au montant affiché par la machine, perd en rentabilité, et est davantage exposé en cas de panne ultérieure liée à un manque de précision et de temps d’exécution de la prestation.
C’est là que réside tout le problème de l’usage de l’IA générative conçu selon l’objectif à atteindre par son créateur : réduire les coûts sinistres. Plusieurs questions se posent : l’assuré perçoit-il une indemnité conformément au régime de responsabilité applicable ? Quels ont été les critères retenus au moment de la fondation de l’IA en termes de sécurité routière, en termes de droit de la concurrence, de droit assurantiel ? Comment présenter et débattre des travaux complémentaires après démontage dans un tel contexte de plus en plus déshumanisé ?
« La prévention de la sécurité routière requiert une énergie entièrement mise à profit pour éviter les accidents/pannes, et toute la programmation de l’IA générative doit donc tendre à concilier la précision du geste pour obtenir une réparation de qualité, avec le temps nécessaire pour l’exécuter et le coût réel pour y parvenir. L’IA reste une aide à la décision et c’est pourquoi il est primordial de replacer l’humain au cœur de sa maîtrise » déclare Marie- Françoise BERRODIER Présidente de la Branche Carrosserie à la FNA.
Réglementation européenne sur l’IA, une avancée importante à saluer mais insuffisante
La première réglementation globale de l’IA (appelée « AI Act ») entend réguler son utilisation et son développement. Les principales dispositions portent sur la classification des systèmes de l’IA, le contrôle pour en garantir la transparence, la sécurité et la conformité, ainsi que la stimulation de l’innovation. Elle ne répond, en revanche, pas clairement aux enjeux des TPE PME notamment sur son impact sur le respect des règles du droit de la concurrence ou des assurances.
Les demandes de la FNA pour la filière
L’action de la FNA porte donc sur l’adoption nécessaire d’un cadre législatif à la hauteur des enjeux en termes d’accès aux technologies, à la formation des actifs et au déploiement de services multimarques alternatifs accessibles aux réparateurs indépendants notamment l’ensemble des données utiles à la maintenance prédictive issues d’une IA Générative ou encore à des modèles de fondation affinés tels que des calendriers de maintenance optimisés.
Dans sa réponse à la consultation la FNA a également demandé l’adoption de précautions particulières pour garantir la sécurité routière, tout en tenant compte des contraintes des métiers des professionnels de l’automobile, qui doivent concilier « efficacité » et « précision ». Pour y parvenir, la FNA a présenté neuf propositions en vue de favoriser une concurrence saine et loyale :
- La qualité des données : afin d’être efficaces, les modèles de l’IA générative doivent être entrainés par de grandes quantités de données de haute qualité, c’est-à-dire complètes, fiables et mises à jour.
- Une collaboration entre les parties prenantes : les utilisateurs comme les réparateurs doivent être impliqués dans la conception des algorithmes de l’IA générative. De leur expertise combinée naitront des évaluations plus précises.
- La transparence des algorithmes et l’explicabilité des modèles de l’IA générative : l’efficacité repose sur des algorithmes transparents, qui permettent aux professionnels de l’automobile de comprendre comment l’outil réagit en situation réelle et de signaler des anomalies.
- Un apprentissage continu et des règles de gouvernance : une formation régulière est nécessaire pour que les réparateurs puissent s’adapter aux évolutions technologiques, et une utilisation transparente et sûre de ces technologies doit leur être garantie.
- La personnalisation et l’adaptabilité : pour être efficaces, les systèmes de l’IA générative doivent être adaptables à différentes structures, activités et flux de travail. Ils doivent aussi pouvoir être personnalisés en fonction des besoins spécifiques du réparateur.
- L’assurance qualité et la validation : l’efficacité de l’IA générative réside dans la mise en œuvre de contrôles de qualité pour valider les estimations qu’elle génère. Des audits réguliers des performances par rapport aux résultats réels des réparations et des opérations de dépannage-remorquage sont également nécessaires, ainsi que des ajustements, le cas échéant.
- Les considérations éthiques : seul un contrôle suivi pour s’assurer que les systèmes de l’IA générative mis en place ne compromettent pas la sécurité routière en garantit l’efficacité. La précision doit, en outre, primer sur la vitesse quand la sécurité est en jeu.
- Promouvoir une filière dynamique de l’IA générative : celle-ci doit vraiment ouvrir l’accès aux données et être utilisée en toute loyauté pour servir l’automobiliste, grâce à l’augmentation de la concurrence sur les prestations de l’après-vente automobile et un meilleur rapport qualité/prix en résultant.
- Adopter une approche d’intervention et de médiation de la part de l’autorité nationale de la concurrence, comme celle reconnue par le Règlement (UE) 2022/1925 du 14.09.2022, relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, afin d’éviter des contentieux longs et coûteux à des PME et des entrepreneurs, qui risquent d’être évincés du marché avant l’issue de la procédure.