Les relations entre les experts et les carrossiers ne sont pas un long fleuve tranquille. Dans un arrêt du 17 novembre 2022, la Cour d’Appel de Lyon s’est livrée à une analyse objective conduisant à la reconnaissance de la responsabilité de l’expert en automobile. Cette décision est suffisamment importante pour qu’on vous en livre le résumé.
De l’importance des chartes de bonnes pratiques
La FNA a signé depuis plusieurs années des chartes de bonnes pratiques avec l’ANEA (aujourd’hui FFEA) et le BCA. Ces chartes fixent des règles professionnelles claires pour que le suivi d’un sinistre se passe le mieux possible. Nous rappellerons pour cela les principes fondateurs de ces chartes :
- Le respect mutuel des deux professions, dans un rapport impartial et cordial ;
- Le soucis de bien accompagner le client par de bonnes informations et des conseils adaptés ;
- Le principe du contradictoire dans les éléments chiffrés du sinistre (coût global de la réparation, …), méthodologie de réparation ;
- La liberté pour le réparateur de fixer ses prix ;
- La liberté pour l’expert de réaliser sa mission, en toute indépendance
Au quotidien, force est de constater que de nombreuses expertises se déroulent à distance (EAD) fragilisant le contradictoire, avec une digitalisation croissante des relations entre les deux professionnels. Beaucoup de non-réponses, ou tardives, ou encore une systématisation de la remise en cause des tarifs du réparateur (temps, taux de main d’œuvre, prix des pièces ,…).
La Cour d’appel a constaté tout cela grâce à la ténacité du carrossier qui a su à travers de nombreux dossiers sinistres, démontrer un comportement fautif de l’expert. Fait marquant, elle s’est appuyée sur la charte pour rendre sa décision, en plus de la législation. Il est fondamental de connaître ces chartes car elles vous protègent et de vous former via le CFPA France, pour faire valoir vos droits.
Les éléments essentiels de l’arrêt
Principe de base : celui qui cause à autrui un dommage doit le réparer
Si vous souhaitez engager la responsabilité d’une personne, vous êtes obligé de démontrer qu’elle a commis une faute et que cette faute a un lien direct (en droit lien de causalité) avec votre dommage.
La Cour salue le travail des Organisations professionnelles :
« La charte a mis en œuvre entre experts automobiles et réparateurs une organisation claire concernant la mise en œuvre des expertises, les délais à respecter mais aussi les modes de communication et d’interarctions entre ces deux parties, notamment en cas de désaccord ».
Le carrossier dans cette affaire a dénoncé le comportement fautif du cabinet qui:
- adoptait de manière systématique une attitude visant à diminuer les sommes qui lui étaient dues en ne tenant pas compte de ses tarifs et de ses demandes de prise en charge des travaux complémentaires
- mais aussi en appliquant de manière systématique des remises sur pieds de facture sans aucun motif
Le juge a recherché si dans les éléments fournis par le réparateur, ses allégations étaient fondées :
- Les factures fournies ont montré l’application de cette remise de manière régulière sans obligation contractuelle en ce sens, le réseau auquel le réparateur faisait partie était simplement référencé.
- L’expert a cherché à se dédouaner en invoquant une directive de l’assureur sans en apporter la preuve.
La Cour en a profité pour critiquer cette réponse de l’expert: « puisqu’elle remet en cause le principe d’indépendance de l’expert par rapport à l’assureur ». Elle retient la faute de l’expert et reconnait que le carrossier a subi une perte de revenus ! |
Sur la liberté du réparateur de fixer ses prix
En application de l’article L410-2 du code de commerce, les prix des biens, produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence sauf pour le cas où la loi en dispose autrement.
Le carrossier s’est beaucoup appuyé sur la non prise en compte de ses tarifs. A la lecture de la décision, il faut être prudent.
Le juge rend une décision favorable au réparateur car ce dernier a très bien constitué son dossier à l’inverse de l’expert.
Les points forts du carrossier :
- A justifié de ses tarifs appliqués dans le cadre de la réparation, il a dû fournir tous les éléments permettant de comprendre ses prix
Les points faibles de l’expert :
- Il ne rapporte pas la preuve d’un accord entre le réparateur et l’assureur justifiant contractuellement des prix plus bas convenus,
- Les assureurs n’ont pas critiqué par le passé ses tarifs, autrement dit, ils les ont déjà été acceptés tels quels sur les autres dossiers,
- Les tarifs de la géométrie ne sont pas plafonnés.
En principe, l’expert doit objectiver, justifier sa méthodologie. Faire preuve de rigueur dans sa démarche. Dans un autre dossier, construit avec un peu plus de rigueur, le jugement aurait pu pencher en faveur de l’expert.
En tout cas ici, le manque d’explication objective permet de valider une fois encore la faute de l’expert qui a clairement « une attitude volontaire ne pouvant que mener à une diminution de la rémunération du carrossier« .
Notre conseil :
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Sur le prix des pièces et le coût de main d’œuvre
Le juge s’appuie une fois encore sur les chartes ! Le réparateur est tout à fait en droit de revenir sur le rapport d’expertise et demander à l’expert, par le biais d’une nouvelle estimation, la prise en compte de nouveaux éléments.
Dans les dossiers, l’expert a commis plusieurs fautes:
- il n’a jamais répondu au réparateur,
- il n’a pas apporté des explications à ses demandes
Au final, la Cour d’Appel condamne le cabinet d’expertise.