Le Journal Officiel de l’Union Européenne a publié le 11 mai 2022 le nouveau règlement d’exemption encadrant les accords verticaux. Celui-ci entre en vigueur le 1er juin 2022 avec toutefois une période transitoire pour les accords déjà en vigueur au 31 mai 2022. Ce règlement général d’exemption concerne tous type d’accords verticaux, quel que soit le domaine, et s’applique donc également au secteur automobile (distribution de véhicules neufs).
Qu’est ce qu’un règlement d’exemption ?
Le droit de la concurrence encadre ou interdit les pratiques anticoncurrentielles telles que la concurrence déloyale, l’entente illicite et l’abus de position dominante (article 101§1 du TFUE). Il est possible d’échapper à ces interdictions en remplissant des conditions prévues dans le traité (article 101§3 TFUE) ou dans un règlement dit d’exemption. Le règlement précité concerne les accords verticaux conclus entre entreprises non concurrentes intervenant sur des niveaux différents (amont de la fabrication à l’aval vente à l’utilisateur final pour nous constructeurs et agents).
Le règlement d’exemption leur permet de conclure des accords de distribution qui, par nature pourraient être considérés comme restreignant la concurrence entre entreprises. En effet, à condition de respecter un certain nombre de principes énoncés par le règlement d’exemption, ces accords sont considérés comme valables s’ils peuvent améliorer la production ou la distribution de marchandises ou le progrès technique sans inconvénients majeurs pour le consommateur final.
Vous trouverez en fin de note un lexique des termes utilisés dans le règlement. Dans le vocabulaire utilisé (qui est général), nous pouvons considérer que le terme « fournisseur » correspond par exemple au constructeur, et que le terme « l’acheteur » correspond au distributeur (concessionnaire), pour le secteur automobile.
L’entrée en vigueur du règlement
Le Règlement d’exemption 330/2010 du 20 avril 2010 qui s’appliquait depuis le 1er juin 2010 expire le 31 mai 2022. Le nouveau règlement d’exemption 2022/720 du 10 mai 2022 prend donc la relève et s’applique du 1er juin 2022 au 31 mai 2034.
Le principe à retenir
Le Traité Européen sur le fonctionnement de l’Union interdit dans son article 101 §1 les accords entre entreprises (accords verticaux) qui pourraient affecter le commerce entre les Etats membres ou qui pourraient fausser le jeu de la concurrence.
Néanmoins ce même article autorise par dérogation dans son article 101 § 3 les accords verticaux entre entreprises lorsque ces accords peuvent avoir des effets bénéfiques sur la concurrence. On dit que ces accords verticaux sont donc « exemptés ».
Article 101 du traité européen (ex article 81 TCE) 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à: a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction, b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement, d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. 2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. 3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables: – à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises, – à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et – à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans: a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. |
C’est sur le fondement de l’article 101 § 3 du traité européen que le règlement d’exemption autorise et encadre certaines pratiques.
Les conditions classiques du bénéfice de l’exemption
Certaines conditions doivent être remplies pour que l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE soit inapplicable à un accord vertical précis. Ces conditions sont fixées par le règlement d’exemption de 2010, repris par le nouveau règlement de 2022 :
Condition 1 : Un seuil de part de marché inférieur à 30 %
Le seuil de part de marché ne doit pas dépasser 30 % pour les fournisseurs et les acheteurs. Si la part de marché détenue par le fournisseur et l’acheteur est supérieure à 30 %, l’accord vertical (le contrat de distribution) court le risque d’être considéré comme anticoncurrentiel.
Condition 2 : Ne pas contenir de restrictions à la concurrence caractérisées (empêcheraient l’accord dans sa globalité)
L’accord ne doit pas contenir de restrictions «caractérisée» au sens du règlement ; ces restrictions sont définies et listées par le règlement et elles empêchent un accord dans son intégralité de bénéficier du règlement d »exemption quelle que soit la part de marché du fournisseur et de l’acheteur :
1. Le fait pour le fournisseur d’imposer un prix de vente minimal auquel les distributeurs peuvent revendre les produits, même de manière indirecte. Le fabricant ne peut pas empêcher son distributeur de fixer son prix. Il peut émettre des recommandations.
2. Le fait de partager le marché en territoire ou en clientèle, les distributeurs ayant la possibilité de vendre où et à qui ils veulent. Toutefois, le règlement prévoit des exceptions en permettant à des entreprises d’utiliser un système de distribution exclusive (le fournisseur/constructeur donne l’exclusivité à un seul distributeur sur un territoire donné) ou un système de distribution sélective (le fournisseur/constructeur sélectionne ses distributeurs sur des critères soit quantitatifs, soit qualitatifs qu’il fixe lui-même).
3. Le fait de restreindre les ventes actives ou passives aux utilisateurs finals par les membres d’un système de distribution sélective. Autrement dit, aucune limitation ne peut être imposée aux distributeurs membres d’un système de distribution sélective quant au choix d’utilisateurs finals (utilisateurs professionnels ou consommateurs).
Les nouveautés prévues par le règlement d’exemption de 2022
⇒ Le règlement d’exemption de 2022 accorde désormais la possibilité de continuer à bénéficier de l’exemption, dans un système de distribution exclusive (très peu répandu dans le secteur automobile) dès lors que le nombre de distributeurs est limité à 5 dans une zone de chalandise donnée. Au-delà de 5 distributeurs, l’exemption ne s’applique pas. ⇒ Le règlement d’exemption de 2022 redéfinit les « vente actives » en y intégrant le fait d’utiliser un site Internet ciblant des clients sur des territoires spécifiques ou encore le fait de proposer sur un site Internet des langues communément utilisées sur le territoire sur lequel l’acheteur est établi. ⇒ Le règlement d’exemption de 2022 renforce la protection de la distribution sélective: il est possible de restreindre les ventes actives et passives des membres d’un système de distribution sélective et de leurs clients à des distributeurs non agréés situés sur le territoire sur lequel s’opère la distribution sélective. Cette possibilité est destinée à mettre fin au contournement de l’interdiction de vente hors réseau. ⇒ Le règlement d’exemption de 2022 intègre des règles relatives à la « distribution gratuite » c’est-à-dire qui n’est ni une distribution exclusive, ni une distribution sélective. Dans cette situation, il n’est pas possible pour le fournisseur de restreindre le territoire sur lequel l’acheteur d’un système de distribution gratuite peut vendre activement des biens ou des services. Cinq situations sont toutefois autorisées. |
4. Le fait de restreindre les fournitures croisées entre distributeurs agréés, y compris entre des distributeurs opérant à des stades commerciaux différents. Les distributeurs agréés doivent donc pouvoir s’approvisionner mutuellement sans être tenus d’un engagement d’achat exclusif auprès d’un fournisseur déterminé. Ex : des concessionnaires entre eux.
5. Le fait de restreindre les accords entre un fournisseur de composants et un acheteur lorsque ce dernier incorpore les pièces dans ses propres produits (équipementier) si cette restriction a pour objet de restreindre la capacité du fabricant de vendre ces pièces détachées à des utilisateurs finals, à des réparateurs ou à des prestataires de service indépendants. Ex : accès aux pièces détachées
Condition 3 – Eviter de contenir des restrictions qui excluraient l’application d’une clause
Certaines obligations de non concurrence prévues dans un accord vertical sont considérées comme des restrictions de concurrence entrainant la perte de l’exemption uniquement sur ladite clause (et non pas sur l’ensemble de l’accord): clause de non concurrence dont la durée est indéterminée ou supérieure à 5 ans ; interdiction faite à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, acheter, vendre ou revendre des biens ou des services; obligation imposée au membre d’un réseau de distribution sélective de ne pas vendre les marques de fournisseurs concurrents déterminés.
Les nouveautés prévues par le règlement d’exemption de 2022 ⇒ Sont exclu du règlement d’exemption de 2022 (et relèvent donc potentiellement) de pratiques anticoncurrentielles les obligations de parité sur l’ensemble des plateformes imposées par les fournisseurs de service d’intermédiation en ligne : il n’est donc pas possible d’interdire à un acheteur de services d’intermédiation en ligne d’offrir, de vendre ou de revendre des biens ou des services à des utilisateurs finals à des conditions plus favorables par le biais de services d’intermédiation en ligne concurrents (prix, inventaire, disponibilité, …). |
Les nouveautés introduites par la Commission européenne dans le nouveau règlement
La double distribution (ou distribution duale)
Le nouveau règlement précise le principe de « double distribution » permettant ainsi à un fournisseur (par exemple le constructeur) de vendre des biens et des services par l’intermédiaire de distributeurs indépendants mais également directement lui-même à des clients finaux, entrant ainsi directement en concurrence avec ses distributeurs.
La double distribution existait déjà dans le règlement de 2010 puisque les constructeurs en pratique vendent directement par exemple aux société de location de véhicules. La Commission en tient compte et encadre désormais les échanges d’information qui peuvent s’opérer à l’occasion de ces opérations de double distribution. La Commission exempte ainsi les échanges d’information entre fournisseur et distributeur uniquement si ces échanges sont directement liés à la mise en œuvre de l’accord vertical et s’ils sont nécessaires pour améliorer la production et la distribution des biens ou services contractuels (article 2. points 4 et 5).
Exemples : des informations sur l’utilisation du produit, les préférences des clients, campagnes promotionnelles …
En revanche la double distribution ne bénéficie pas de l’exemption lorsque le fournisseur d’un service d’intermédiation en ligne a une fonction hybride, c’est-à-dire qu’il est également une entreprise concurrente sur le marché.
Obligation de parité
Désormais, parmi les restrictions exclues de l’exemption, et considérées par conséquent comme relevant de l’article 101 § 1 du traité, le règlement dispose que ne seront pas exemptés les obligations interdisant à un acheteur de services d’intermédiation en ligne d’offrir, de vendre ou de revendre des biens ou des services à des utilisateurs finals à des conditions plus favorables par le biais de services d’intermédiation en ligne concurrents.
Les plateformes de vente en ligne
⇒ Certaines pratiques liées aux ventes en ligne peuvent désormais bénéficier de l’exemption. C’est le cas par exemple de la possibilité pour l’acheteur de payer un prix de gros différent, selon que le produit est destiné à être revendu en ligne ou hors ligne (double prix). Cette différence de prix est autorisée (et bénéficie de l’exemption) lorsqu’elle est liée aux différences d’investissement et de coûts supportés par l’acheteur pour réaliser les ventes dans chaque circuit.
⇒ Un fournisseur exploitant un système de distribution sélective peut sélectionner ses distributeurs agréés sur la base de critères qualitatifs et/ou quantitatifs. Tous les critères qualitatifs doivent généralement être définis pour la vente en ligne et hors ligne. Toutefois, étant donné que les ventes en ligne et hors ligne présentent des caractéristiques différentes, un fournisseur exploitant un système de distribution sélective peut imposer à ses distributeurs agréés des critères de vente en ligne qui ne sont pas équivalents à ceux imposés pour la vente dans les magasins physiques, à condition que les exigences imposées pour les ventes en ligne n’ont pas indirectement pour objet d’empêcher l’utilisation effective d’internet par l’acheteur pour vendre les biens ou services contractuels à des territoires ou à des clients particuliers.
Lexique:
«accord vertical»: un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services;
«restriction verticale»: une restriction de concurrence dans un accord vertical entrant dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, du traité;
«obligation de non-concurrence»: toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause, calculés sur la base de la valeur ou, si cela est de pratique courante dans le secteur, du volume des achats qu’il a effectués au cours de l’année civile précédente;
«système de distribution sélective»: un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés sur le territoire réservé par le fournisseur pour l’exploitation de ce système;
«système de distribution exclusive»: un système de distribution dans lequel le fournisseur alloue un territoire ou un groupe de clients à titre exclusif à lui-même ou à un nombre maximal de cinq acheteurs et restreint la possibilité de tous ses autres acheteurs de vendre activement sur le territoire exclusif ou au groupe de clients exclusif;
«services d’intermédiation en ligne» : les services de la société de l’information (commerce électronique, application, plateformes de comparaison de prix, services de médias sociaux) qui permettent aux entreprises d’offrir des biens ou des services:
- à d’autres entreprises, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises, ou
- aux consommateurs finals, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises et les consommateurs finals,
que ces transactions soient ou non finalement conclues et indépendamment du lieu où elles l’ont été;
«acheteur»: entre autres, une entreprise qui, en vertu d’un accord entrant dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, du traité, vend des biens ou des services pour le compte d’une autre entreprise;
«ventes actives»: le ciblage actif de clients par des visites, des lettres, des courriers électroniques, des appels ou d’autres moyens de communication directe ou par le biais de publicité et de promotion ciblées, hors ligne ou en ligne, par exemple au moyen de médias papier ou numériques, y compris les médias en ligne, les services de comparaison de prix ou la publicité sur les moteurs de recherche ciblant des clients sur des territoires spécifiques ou appartenant à des groupes de clients spécifiques, l’exploitation d’un site internet dont le domaine de premier niveau correspond à des territoires spécifiques, ou le fait de proposer sur un site internet des langues communément utilisées sur des territoires spécifiques, lorsque ces langues sont différentes de celles communément utilisées sur le territoire sur lequel l’acheteur est établi;
«ventes passives»: les ventes faisant suite à des demandes spontanées de clients individuels, y compris la livraison de biens ou de services au client sans que la vente ait été initiée par le ciblage actif du client, du groupe de clients ou du territoire spécifiques, et incluant des ventes résultant de la participation à des marchés publics ou répondant à des procédures de passation de marchés privés.
La Commission Européenne a publié des « lignes directrices » qui explicitent chacun de points du règlement d’exemption (en anglais pour le moment).