Un de vos salariés, en arrêt maladie ordinaire ou dans le cas d’un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle, vous réclame son droit à congés payés en incluant les périodes d’absence.
Avez vous l’obligation de faire droit à sa demande ?
La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence dans 3 arrêts rendus le 13 septembre 2023, car elle met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés.
Ces décisions ne sont pas sans conséquences dans l’entreprise, car il faut savoir que leur application est rétroactive et que vos salariés malades sont fondés à saisir les tribunaux pour obtenir réparation.
Faisons le point
Pour rappel, un salarié à temps complet ou à temps partiel bénéficie :
- de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif, représentant 30 jours ouvrables de congés pour une année de travail complète, soit du 1er juin de l’année précédente au 31 mai de l’année en cours.
La durée des congés ne peut être réduite qu’en cas d’absence au cours de l’année de référence, sauf absences assimilées à du temps de travail effectif.
Pour déterminer la durée du congé, le législateur assimile certaines périodes d’absence à du temps de travail effectif, toutes les autres absences sont exclues, sauf dispositions plus favorables d’une convention collective, d’un accord collectif ou d’un usage. C. trav, art. L 3141-5.
Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé au regard de la CCN des services de l’automobile art 1.15 a :
- les jours acquis au titre de la réduction du temps de travail ;
- les journées de congé payé ;
- la durée du congé de maternité, de paternité et d’adoption ;
- les périodes de congé de formation de cadres et d’animateurs pour la jeunesse ;
- les périodes limitées à une durée d’un an pendant lesquelles l’exécution du travail est suspendue par suite d’accident de trajet ou du travail, ou de maladie professionnelle ;
- l’indisponibilité pour maladie ou accident de la vie courante, dans la limite d’une durée maximale de trois mois ;
- les absences pour participer à la « journée défense et citoyenneté », et les temps de service dans la réserve opérationnelle ;
- la période de préavis non exécutée à la demande de l’employeur ;
- les congés de formation de toute nature, notamment pour le suivi d’une formation professionnelle, pour un congé individuel de formation, ou pour une formation économique, sociale et syndicale ; les jours fériés non travaillés ;
- les jours de congés exceptionnels pour événements personnels prévus par les articles 2-09 et 4-07 de la convention collective ;
- les congés des candidats ou des élus à un mandat parlementaire ou local.
Par conséquent, en dehors des périodes assimilées à du temps de travail effectif par la loi ou par notre convention collective, les périodes de suspension du contrat de travail ne sont pas prises en compte dans le calcul de la durée du congé.
Sauf que le droit national en matière de congés payés n’est pas conforme au droit européen (CJUE 24 janv 2012 – aff Dominguez), que le législateur Français est invité à modifier les textes, mais à ce jour rien, obligeant la cour de Cassation à trouver des arguments complexes pour justifier ses décisions.
Or, dans son arrêt du 15 septembre 2021, 20-16.010, la Cour de cassation rappelle comment le droit européen impacte le droit national.
Elle rappelle que le droit au congé, ne résulte pas uniquement de la directive européenne de 2003, qui pour information n’est pas transposable en droit français et par voie de conséquence ne peut être invoquée par un particulier contre un autre particulier (salarié / employeur), mais qu’il existe l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a la même valeur que les traités et donc si le droit français est contraire à ses dispositions impératives et inconditionnelles, elles peuvent être invoquées dans un litige entre particulier.
En conséquence de quoi, l’arrêt du 15 septembre 2021 précise qu’un salarié en arrêt de travail pour maladie pendant 2 ans, peut acquérir des droits à congés payés durant son absence et demander un report des congés acquis précédemment.
Conséquences pour l’entreprise de la décision de la Cour de cassation ?
Avec ces 3 arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en décidant de mettre en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés. Cass 13 septembre 2023 ; Cass 13 septembre 2023 ; Cass 13 septembre 2023
Cette décision n’est pas une surprise, car depuis plusieurs années, il était demandé à l’état Français de se mettre en conformité avec le droit communautaire en matière de congés payés. Déjà en septembre 2021 et mars 2022, le Cour de cassation rendait 2 arrêts qui laissaient penser qu’elle irait plus loin.
Force est de constater que le législateur est resté passif, les articles L 3141-3 et L 3141-5 du Code du travail ne sont pas conformes au droit européen.
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation vient mettre en conformité le droit français avec le droit européen en répondant à plusieurs questions.
- Un salarié en arrêt maladie ordinaire (non professionnelle) peut il acquérir des congés payés ?
En l’espèce, des salariés en arrêt maladie non professionnelle ont réclamé leur droit à congés payés en incluant les périodes non travaillées. Ils ont eu gain de cause en appel, l’employeur forme un pourvoi en cassation.
- La question posée à la Cour concernait la mise en conformité du droit français avec le droit européen ?
Pour l’union européenne : un salarié qui ne peut travailler pour raison de santé, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à CP.
En droit français : un salarié en maladie ordinaire n’acquiert pas de droits à CP.
La Cour de cassation reprend l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne et écarte les dispositions du droit français non conformes au droit européen. Elle considère, qu’un salarié en arrêt maladie ordinaire, professionnelle ou suite à un accident du travail, peut acquérir des droits à congés payés.
- Un salarié en arrêt suite à un accident du travail peut il acquérir des droits à congés payés au delà d’un an ?
Pour le droit européen : un salarié en arrêt suite à un accident du travail peut bénéficier d’un droit à congés payés couvrant l’intégralité de son arrêt.
Droit français : l’acquisition de CP est limitée à un an en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
La Cour de cassation en réponse, reprend le même raisonnement. Par conséquent, en cas d’arrêt pour accident du travail ou de maladie professionnelle, l’acquisition des droits à congés payés va au delà de 1 an, soit pour toute la durée de l’arrêt.
- Durée de la prescription de l’indemnité de congé payé ?
En l’espèce, une enseignante pendant plus de 10 ans a réalisé une prestation de travail sans pouvoir prendre ses congés. Suite à la requalification de sa relation contractuelle, elle réclame une indemnité de congés payés.
Question posée à la Cour de cassation : quel est le point de départ de la prescription d’une demande d’indemnité de congés payés ?
La Cour en réponse, indique en application du droit de l’union, que le délai de prescription ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.
Nous ne savons pas exactement ce que signifie les mesures nécessaires de l’employeur, nous ne pouvons que vous conseiller d’informer le salarié par écrit qu’il est en mesure d’exercer son droit à congés payés, surtout en cas de retour dans l’entreprise, afin que le délai de prescription soit de 3 ans et non au delà.
Exemple : un de vos salarié est en arrêt depuis 2 ans et reprend son travail. Au regard de cette jurisprudence : soit vous l’appliquiez déjà ou vous décidez de lui accorder les CP obtenu au cours de son arrêt, soit 60 jours ouvrables de CP (30 jours par an) acquis, qu’il n’a pas pu prendre du fait de son absence. Dès son retour mettez en place un calendrier de prises de CP afin de prouver qu’il a été en mesure de prendre ses congés payés.
Pour les salariés qui ne sont plus dans l’entreprise, nous ne savons pas plus si le délai de prescription applicable est de 3 ans ou plus.
Une autre question était également soulevée : pour quelle durée de contés payés vaut cette jurisprudence 4 ou 5 semaines de congés payés?
Au regard du droit français, le salarié est éligible à 5 semaines de congés payés, on va donc se référer aux 5 semaines de congés payés.
L’impact au niveau paye et ressources humaines de ces arrêts ?
La Cour de cassation au travers de ces décisions pallie la carence du législateur et apporte des solutions afin de mettre en conformité notre droit avec le droit européen.
La question est de savoir ce que le législateur va faire ? dans un communiqué, le ministère du Travail a indiqué « prendre acte » des arrêts et analyser « les options possibles ».
Légiférer rapidement sur ce sujet serait une opportunité afin de limiter les conséquences de cette jurisprudence.
Il pourrait a minima limiter l’acquisition des CP sur 4 semaines et non 5 semaines ; limiter dans le temps le report des congés payés non pris (sur une période de 15 mois comme décidée par la Cour européenne en 2011), mais également légiférer sur le sort des salariés malades alors qu’ils sont en congés payés. Sur ce dernier point la France est hors la loi au regard du droit européen.
En attendant une possible modification du Code du travail, en tant qu’employeur prenez le sujet très au sérieux si certains de vos salariés ont eu des arrêts maladie de toutes natures (professionnelle ou non) différents scénarios peuvent se profiler :
- Les salariés pourraient vous demander d’appliquer cette jurisprudence et de régulariser leur compteur CP ;
- Cela concernerait les futurs arrêts maladie mais également les arrêts maladie en cours ou passés ;
- Si vous ne faites pas droit à leur demande, ils pourraient saisir les tribunaux et peut être obtenir gain de cause ;
- Ils pourraient obtenir réparation sur une période de 3 ans : prescription salariale
Vos alternatives
- vous régularisez la situation de vos salariés éligibles avant tout contentieux potentiel ;
- vous attendez les décisions du conseil de prud’hommes et régularisez au cas par cas ;
- vous attendez les dispositions légales qui devraient nous éclairer sur certaines points (4/5 semaines, diligence de l’employeur …) ; mais cela est toujours risqué ;
- En prévision, vous déposez auprès de la Caisse des dépôts et consignation le montant correspondant aux CP, en prévision d’un contentieux et de la décision des tribunaux.
Le gouvernement commence à se saisir du sujet et de ses conséquences.
Le 30 novembre 2023, dans un discours prononcé à l’occasion du salon Impact PME, la Première ministre a évoqué les répercussions de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les congés payés et arrêts maladie.
Elle a notamment déclaré : « Enfin, je voudrais vous dire un mot de l’actualité autour des congés payés. Je sais que la récente décision de la Cour de cassation provoque des inquiétudes. En s’alignant sur la jurisprudence européenne, vous craignez un alourdissement du coût du travail. Naturellement, nous mettrons notre droit en conformité au cours du 1er trimestre 2024, mais je souhaite réduire au maximum l’impact de cette décision sur vos entreprises. Je peux vous en assurer, il n’y aura pas de surtransposition. »
A suivre …